Paroisse Saint Loup


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Solennité du Christ, Roi de l’Univers – Année A

samedi 25 novembre église de Notre-Dame des Commiers

Le Christ Roi, médecin des âmes

J’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées. Ézéchiel XXXIV, 12

Les jours « de nuages et de sombres nuées », nous avons vraiment besoin d’un chef de file, digne de confiance, pour nous guider. Sous le ciel menaçant, notre vie est éclipsée et la paix chancelle. L’espérance n’est plus qu’une chimère. Pour avancer de manière constructive, la pente semble bien raide et le chemin éprouvant.
Ce soir où nous célébrons le Christ, celui qui nous introduit dans le royaume de Dieu, l’image du berger qui nous guide et nous accompagne est parfaite. Il laisse se reposer ceux qui sont fatigués et respirent avec difficulté. Il cherche les brebis égarées et les ramène vers le troupeau, guérit les cœurs brisés et les esprits fragiles. Nous n’avions peut-être pas imaginé ainsi le Royaume, mais nous savons comment le berger peut nous conduire à Dieu.
Qui que nous soyons, riches ou pauvres, noirs ou blancs, jeunes ou moins jeunes, nous avons l’instinct de domination. Seul parfois le manque d’occasion nous a empêchés de le sentir, mais il est là tapi au fond de notre cœur. La moindre responsabilité, le moindre privilège, la moindre occasion de montrer que nous sommes les maîtres nous amène à en profiter, et souvent à en abuser. Il y a bien des moyens de faire sentir notre pouvoir, la séduction peut en être un, il y a mille formes de chantage qui n’ont l’air de rien, mais qui obligent l’autre à plier devant nous, devant notre volonté.
Avec un tel point de départ, l’exercice de l’autorité est un sport périlleux. Pourtant il en faut une dans toute société humaine : quand elle fait défaut, tout le monde en pâtit, et d’abord les plus faibles. Mais elle demande de la part de celui qui l’exerce un singulier détachement, une attention au bien général, mais aussi au bien particulier de ceux qui concourent à l’ensemble. Sinon, sous prétexte d’une légitimité élective ou héréditaire, il va se camper en petit chef, satisfaire ses envies, régler ses comptes avec ses rivaux et faire servir à son profit le pouvoir qu’il exerce.
Jésus sait parfaitement cela : s’il a dit à Pilate que son pouvoir « vient d’en haut » (c’est-à-dire de Dieu), il ne se fait pas d’illusion sur les motivations de Pilate. Toute la vie du Christ s’est jouée autour de ce titre de Roi, qu’il n’a cessé de refuser au long de son ministère public et qu’il n’a fini par accepter que très tard, au moment où il n’y avait plus d’ambiguïté possible : « Tu l’as dit : je suis roi ! ».
Mais quel Roi ! Le Christ est venu appliquer le remède sur cette plaie saignante de l’aventure humaine. Les hommes veulent briller, conquérir des places ? Il s’est fait le dernier et le serviteur de tous. Ils veulent contraindre les autres à en passer par leur volonté propre ? Il a cherché avant tout à convaincre, et à gagner des libertés et il s’est retiré devant les méchants, quand ceux-ci voulaient le réduire au silence. La plus haute autorité qui soit s’est présentée désarmée devant le jugement des hommes.
Mais il ne s’agit pas seulement de donner un exemple, même bouleversant, d’humilité pour désarmer l’instinct de domination qui est au cœur des hommes, il y faut une école, qui ressemble souvent à un hôpital (« hôpital de campagne » comme dit notre pape) et cette école, c’est l’Église. Celle-ci n’a pas cessé de traiter les cœurs humains qui se présentaient à elle, pour inculquer aux gouvernants comme aux gouvernés leurs devoirs, pour brûler les racines de leur péché dans les sacrements, pour les mettre tous à genoux devant le seul grand Roi, et ainsi peu à peu transformer les loups en brebis.
Ce fut souvent un combat terrible, et si cette Église parut parfois céder et accorder beaucoup d’honneur aux grands de ce monde, c’était encore pour les amener à courber la tête devant la loi du Christ. Aujourd’hui, depuis que le pouvoir politique ne demande plus rien à l’Église, il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup gagné.
Revenons au Christ-Roi et, quel que soit le pouvoir que nous exerçons, remettons-le entre ses mains.
Quant aux disciples, ils sont ceux qui nous ont précédés en Galilée et ils se reconnaissent à cette phrase de Jésus : « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Matthieu XXV, 40
Les disciples pourraient être surpris, eux qui aimeraient parfois s’imaginer entre Dieu et les hommes, acceptant de se soumettre à leur Père des cieux mais souhaitant dominer leurs frères.
Voilà qu’il leur dit qu’il n’y a pas de différence entre lui et chacun de ses enfants, qu’il soit le premier ou le dernier dans la hiérarchie humaine. Voilà qu’il leur dit, en d’autres termes, que l’amour qu’ils portent à Dieu et l’amour qu’ils portent à tous les hommes est le même amour. Avec la même puissance, avec la même réalité, avec la même importance.
Voilà, en fait, qu’il précise la réponse qu’il apportait à tous ses disciples, quand les maîtres de la loi lui demandaient, avec une évidente perfidie, quel était le plus grand des commandements.
Il n’y a finalement pas de différence qui ferait passer l’un avant l’autre ou l’un à la place de l’autre. Les disciples ne pourront donc jamais prétexter du service de Dieu pour abandonner leurs frères à leur misère ou à leur ignorance. Ils doivent être au service de leurs frères tout autant qu’au service de Dieu. Mieux encore, être au service de Dieu qui n’a pas besoin d’eux, c’est tout simplement être au service de ses frères qui, eux, peuvent avoir besoin de l’aide des disciples et de leur compassion active. Ils ne le pourront pas, comme par ailleurs ils ne pourront jamais prétexter de leur générosité et du temps et de l’énergie donnés à cela, pour abandonner la prière et la louange. C’est elle qui leur donnera la force comme le dira Paul : « Soyez toujours joyeux. Priez sans cesse, remerciez Dieu en toutes circonstances. » 1 Thessaloniciens V, 16-17
Mais les disciples ne doivent pas non plus croire qu’être au service des frères c’est être leur subordonné, voire leur esclave. Non, c’est être à leur place, la place qui a été choisie par le Seigneur pour eux, et c’est rester soumis à la volonté du Père. Ils ne doivent pas oublier la mission essentielle qu’il leur donnera : « Allez dans le monde entier et annoncez la bonne nouvelle à tous les hommes. Celui qui croit et sera baptisé sera sauvé mais celui qui ne croit pas sera condamné ». Marc XVI, 15-16
Alors, en toute humilité, il nous reste à nous tourner encore vers le Seigneur, car c’est lui qui nous montrera comment, chaque jour, aimer nos frères comme nous l’aimons. Écoutons le psalmiste et prions avec lui : Seigneur, fais-moi connaître le chemin à suivre, enseigne-moi à vivre comme tu le veux. Que ta fidélité soit mon guide, instruis-moi, car c’est toi, le Dieu qui me sauve, et je compte sur toi tous les jours. Psaume XXV, 4-5
C’est à moi que vous l’avez fait… A toi Seigneur ? Mais quand ? Mais où ? N’est-ce pas là la question du « discernement de chaque instant », avant d’être celle du Jugement dernier ? Seul le regard du Bon Pasteur peut discerner ceux qu’il placera à sa droite ou à sa gauche afin de participer au bonheur du Royaume. Ce sera alors la « surprise » car personne, dans cette parabole, n’a conscience d’avoir agi en faveur ou à l’encontre du Seigneur à travers les pauvres ou les opprimés. Mais qui sont les « plus petits de mes frères » dont parle Jésus ? Le Seigneur ne vient-il pas à nous à travers tous ceux qu’il met sur notre route ? Le reconnaissons-nous en eux ? Jésus ne nous invite-t-il pas à le rencontrer lui en rencontrant notre prochain, à être vigilants sur ce qui motive nos actions, nos engagements… Est-ce le bien de l’autre ou la satisfaction de nos désirs ?

Mon Dieu, donne-nous de te reconnaître dans chacun de nos frères. Laisse-nous te découvrir dans chacun de leurs visages, dans l’homme qui souffre et qui pleure comme dans celui qui se réjouit et qui chante. Donne-nous de te voir dans le plus lointain comme dans le plus proche. Dans celui vers qui nous porte notre cœur comme dans celui que nous n’aimons pas.
Accorde-nous alors la force de nous donner à chacun d’eux jusqu’à partager notre vie, sachant que toi, tu as tout donné de toi pour que chacun d’entre nous vive pour l’éternité dans l’amour du Père.
Mais donne-nous aussi l’humilité d’être, si tu le désires, celui qui porte ton visage pour ceux qui nous croiseront et qui, peut-être, verront alors dans notre sourire ou dans nos larmes la trace de ton amour et la possibilité de te rejoindre.

Père Thibault NICOLET

Références des textes liturgiques :
Ézéchiel XXXIV, 11-12. 15-17 ;
Psaume XXII (XXIII) ;
Première Lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens XV, 20-26. 28 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu XXV, 31-46.