Paroisse Saint Loup


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Vendredi Saint – Année C

vendredi 19 avril 2019 église Saint Jean-Baptiste, Vif

Le scandale de la Croix ou la mort de Dieu

Saint Jean présente la Passion comme une marche triomphale du Fils de Dieu vers son Père. Il insiste sur la majesté du Fils de Dieu qui va librement à la mort pour nous sauver et sur sa royauté. C’est en tant que Roi des Juifs que Jésus est crucifié.

« Crucifié », c’est-à-dire « mis en croix », cette croix dont on ne peut faire l’économie. Le saint curé d’Ars avait demandé la grâce de l’amour des croix. On a prêché sur « la croix, source de joie ». L’épître aux Hébreux indique le lien entre la croix et l’obéissance du Christ. On ne peut pas faire l’économie de l’obéissance. On peut demander la grâce de l’amour de l’obéissance. On peut prêcher sur « l’obéissance, source de joie ». Du livre d’Isaïe à la lecture de la Passion selon saint Jean, on est saisi par le silence contemplatif de l’Elu. Devant l’absurde, il n’y aurait donc rien à dire sinon obéir. L’attitude silencieuse du Seigneur semble nous enseigner la puissance grâce à laquelle l’homme peut traverser le mur de l’absurdité. Quant à la cause de l’absurdité, le livre d’Isaïe la dénonce sans faux-fuyant : c’est le péché. On est tenté d’éviter le sujet tant il est absurde. Mais le taire suffit-il à résoudre le drame de la condition humaine ? Quant au Christ, il n’a pas seulement dénoncé le péché, il en a assumé les conséquences afin que l’homme soit justifié.

Il faut bien avouer que nous sommes devant l’un des mystères les plus opaques de notre foi, je veux parler de la mort de Dieu. En ce jour sacré où nous méditons sur le don de la vie de Jésus-Christ, crucifié pour avoir aimé jusqu’au bout, il nous faut réaliser à quel point le mystère de l’Incarnation est surprenant, scandaleux et renversant.

Le projet de Dieu, voulant offrir à l’humanité la capacité de vivre comme lui, se réalise par son choix de venir vivre en nous. Et pour cela il prévoit de venir chez nous, en s’incarnant. Il est surprenant ce Dieu tout-puissant qui a la faiblesse de se faire homme, de s’abaisser jusqu’à assumer, lui le Créateur de toute chose, la limite de la créature. Ce mystère de l’Incarnation dépasse l’entendement et c’est d’ailleurs bien souvent un point d’achoppement quand nous témoignons de ce Dieu vivant et aimant, au-delà de tout, qui s’est fait enfant et a vécu dans le temps. Qui aurait pu inventer une telle théorie pour convaincre l’humanité de la bonne volonté de ce Dieu qui veut nous sauver en nous rejoignant ?

Cette surprise mystérieuse de l’enfant devenu grand, et obéissant jusqu’à mourir sur le bois de la croix, devient scandaleuse, lorsqu’on veut bien réaliser la dignité de la victime sacrifiée ! Folie ou scandale, c’est une même réaction d’incompréhension. Car depuis le désordre des origines, coupé de la source qui est la vie, le chemin humain s’achève dans la mort. Cette mort de Dieu est scandaleuse. Lui, l’auteur de la vie, l’initiateur du don gratuit, le pur Esprit, va expérimenter la rupture du péché en recevant notre chair : il se fait l’un de nous jusqu’à mourir sur une croix. Ce bois mortifère et temporaire va anéantir l’auteur éternel de la vie ! Ce moment dépasse l’entendement.

Cependant, c’est justement là que tout est renversé. Car il est bien vrai que Dieu s’est fait homme pour sauver l’homme, en donnant sa vie par amour, et lui permettre d’entrer dans l’éternité dans l’élan de sa vie ressuscitée. Comme bien souvent le projet de Dieu nous bouleverse. Il se dépouille de sa dignité pour nous en revêtir, il se sacrifie de sa vie pour nous l’offrir et il s’anéantit dans la mort pour nous en affranchir. L’ordre de Dieu n’est décidément pas celui des hommes.

C’est pourquoi Jésus, dans son Incarnation, n’échappe pas à la fin de l’homme blessé. Il restera toujours uni en sa personne au Père et à l’Esprit, et connaîtra, par son humanité, la douleur de la séparation en attendant la Résurrection. Dans la mort qu’il affronte ce soir, Jésus rejoint au plus profond ce que l’homme endure depuis qu’il s’est séparé de Dieu. Et c’est la deuxième Personne de la Trinité qui vient jusqu’en notre chair afin de rétablir le chemin de l’unité.

Entrons donc ensemble dans le mystère de cette Croix, lieu de l’expression de la charité poussée à l’extrême. C’est elle qui devient source de vie. Le Vendredi Saint, jour de communion de toute l’humanité, communion manifestée dans la grande prière universelle où nous portons ce désir de Dieu de sauver tous les hommes. Devant nous, la croix et l’autel. L’un et l’autre restent debout, en débit de toute adversité, qu’il s’agisse d’un bombardement ou d’un incendie.

Père Thibault NICOLET

Références des textes liturgiques : Isaïe LII, 13 - LIII, 12 Psaume XXX (XXXI) Épitre aux Hébreux IV, 14-16… V, 7-9 Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean XVIII, 1 - XIX, 42