Homélies
6 février 2019
Quatrième dimanche du Temps Ordinaire – Année C
samedi 02 février église de Saint-Paul-de-Varces
L’amour comme seule réponse
Qu’est-ce que Jésus a bien pu faire ou dire pour que les habitants de son village soient tellement en colère qu’ils sont prêts à le jeter dans un ravin pour le faire taire ? Les gens de Nazareth croient connaître Jésus. Cet homme-là, ils le connaissent « par cœur », et ils en sont fiers. Mais Jésus leur dit qu’il ne leur appartient pas. Il est venu pour tous les hommes. Son amour est pour tous et il n’appartient à personne. Parfois, nous aussi, nous voudrions Jésus pour nous, Jésus à nous. Mais Jésus ne se laisse pas attraper, ne se laisse pas enfermer. Il offre la Bonne Nouvelle et son amour à chacun, non pas pour que nous le gardions pour nous, mais pour que nous allions vers les autres et qu’à notre tour, nous les aimions du même amour dont Jésus nous aime.
Dans les passages de la première lettre aux Corinthiens que nous avons entendu ces deux derniers dimanches, saint Paul énumérait les différents dons que l’Esprit-Saint fait aux membres du Corps du Christ dans leur diversité. Mais, dit-il, parmi eux, il y en a un sans lequel les autres ne sont rien : c’est l’Amour. C’est lui qui donne valeur à tous les autres : ils ne nous sont donnés que pour mieux aimer.
Du coup, nous pourrions être tentés de lire ce texte comme une leçon de morale, comme un programme à remplir : « Voilà ce que vous devez faire si vous voulez remporter la palme du plus bel amour ». Mais en fait, avant de parler de nous, ce texte de Paul parle d’abord de Dieu, il contemple le mystère de l’amour de Dieu ; à chaque fois que nous rencontrons le mot « Amour » dans ce texte, nous pourrions le remplacer par le mot « Dieu » : « L’amour prend patience » ; oui, Dieu patiente avec son peuple, avec l’humanité, avec nous, lui pour qui « mille ans sont comme un jour, et un jour est comme mille ans », nous dit Pierre (2 Pierre III, 8) ; oui, « l’amour rend service », il suffit de regarder Jésus laver les pieds de ses disciples pour s’en convaincre (Jean XIII) ; le peuple d’Israël a eu maintes occasions d’expérimenter que « l’amour (c’est-à-dire Dieu) ne garde pas rancune », lui qui a pardonné à son peuple sans se lasser tout au long de l’histoire biblique, jusqu’au jour où sur le visage du Christ en croix, nous avons entendu les paroles suprêmes du pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Et il ne nous a laissé qu’une seule consigne : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Heureusement pour nous, nous ne sommes pas laissés à nos seules forces pour cela, puisqu’il nous a transmis son Esprit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné » (Romains V, 5). Ce qui veut dire que « l’amour même de Dieu est répandu en nous ». Voilà une bonne nouvelle, si nous voulons bien l’entendre.
Alors ici Paul fait l’inventaire du cadeau qui nous est fait, le catalogue des possibilités infinies de dépassement qu’il nous offre. En quelque sorte, il nous dit : « Voilà ce que l’amour vous rend capable de faire ». Les quinze comportements que saint Paul énumère dans son inventaire, loin d’être des utopies, sont les réalités étonnantes que l’expérience fait découvrir : réellement, on le sait bien, l’amour – et l’amour seul – permet à ceux qui aiment, à ceux qui s’aiment, d’atteindre des sommets de patience, d’oubli de soi, de douceur, de transparence, de confiance totale. C’est l’amour de Dieu, c’est-à-dire donné par Dieu, qui, seul, peut faire de nos communautés les témoins que le monde attend.
Paul insiste. C’est l’amour et lui seul qui fera de nous des adultes : « Quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Quand j’étais un enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j’ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant. » On peut en déduire que toutes les autres qualités (la science, la générosité, et même la foi et le courage, le don des langues ou de prophétie) ne sont que des enfantillages au regard de la seule valeur qui compte, l’amour. Quand on pense à l’importance que les Corinthiens attachaient à l’intelligence, à la naissance, à la condition sociale, on mesure mieux l’audace des propos de Paul. Toutes ces soi-disant valeurs auxquelles nous tenons tant, nous aussi, ne sont que des balayures, comme Paul le dit ailleurs, puisque même les plus grandes vertus ne sont rien si elles ne sont pas irriguées uniquement par l’amour de Dieu lui-même. Voilà qui remet les choses à leur place. Une fois de plus, on entend résonner les Béatitudes : seuls les pauvres de cœur savent accueillir en eux les richesses de Dieu. Peut-être n’osons-nous pas assez compter sur ces possibilités infinies d’amour qui sont à notre disposition, pourvu que nous les sollicitions. L’Esprit est très discret, il attend peut-être que nous lui demandions son aide.
C’est ce même Esprit dont le Seigneur Jésus détenait tous les secrets dès sa vie terrestre et en dépit de cette réalité de foi, « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu », dira saint Jean. Luc le dit dans l’évangile de ce dimanche en opposant l’attitude de Nazareth, la ville de son enfance, et celle de Capharnaüm (où il était au départ un inconnu), et cette opposition en préfigure une autre : l’opposition entre l’attitude de refus des juifs (pourtant destinataires du message des prophètes) et l’accueil de la Bonne Nouvelle par des païens. Comme la veuve de Sarepta, comme le général syrien Naaman, ce sont les non-juifs qui feront le meilleur accueil au Messie. Mais la victoire définitive du Christ est déjà annoncée, symbolisée par sa maîtrise sur les événements : « Lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »
Références des textes liturgiques :
Livre du prophète Jérémie I, 4-5. 17-19 ; Psaume LXX (LXXI) ;
Première Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens XII, 31 – XIII, 13 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc IV, 21-30.
1er février 2019
Troisième dimanche du Temps Ordinaire – Année C
27 janvier 2019 église Saint Jean-Baptiste de Vif
Jésus, le Messie
Jésus se rend à la synagogue de Nazareth. La lecture qu’il fait est inspirée par l’Esprit-Saint et lui permet de donner son interprétation d’un passage du livre d’Isaïe. Il ne dit pas à ceux qui sont présents qu’il est le Messie mais il leur donne les moyens de le croire afin qu’ils demeurent libres d’accepter ou non cette réalité. Comme au temps de Jésus, cette révélation nous est proposée encore aujourd’hui. En l’acceptant, nous reconnaissons en Lui le Messie qui réconforte et libère les opprimés.
L’auditoire du Christ lisant et interprétant le prophète est comme un écho du récit de Néhémie rapportant le rassemblement de tout le peuple (les hommes, les femmes et même les enfants !) de retour à Jérusalem après cinquante ans d’exil. Tout ce peuple écoute la lecture de la Loi. C’est pour tous un moment d’intense émotion que de pouvoir de nouveau entendre la Parole de Dieu, enfin réunis sur cette terre qui leur a été donnée. Saurons-nous, nous aussi, écouter avec reconnaissance et attention la parole que Dieu nous donne aujourd’hui ?
Quant à saint Paul, il se plaît à comparer les membres des communautés chrétiennes, et plus généralement l’Eglise, au corps humain. Cette comparaison nous fait bien comprendre deux choses très importantes. La première, c’est que nous sommes différents les uns des autres et que nous avons des responsabilités spécifiques dans le fonctionnement de la famille des chrétiens. La seconde est que nous sommes tous unis au Christ et que nous devons agir non pour nous-mêmes, mais pour le bien de tous.
C’est par une très belle « période », d’une grande richesse littéraire, que Luc commence son évangile, le troisième dans l’ordre de nos Bibles. La liturgie de ce dimanche y associe la prédication inaugurale de Nazareth.
Luc aurait pu ne pas écrire son évangile, puisque d’autres l’ont déjà fait, selon ses dires mêmes. On peut se demander pourquoi n’avoir retenu que quatre évangiles qui, de plus, ne disent pas toujours la même chose ! Dès le milieu du deuxième siècle de notre ère, vers 150, Justin atteste de l’existence des quatre évangiles dans une même collection, mais c’est le canon de Muratori, daté de 180 et situé à Rome, qui témoigne le premier de manière officielle de la liste des livres néotestamentaires.
On trouve successivement les quatre évangiles (Matthieu, Marc, Luc et Jean) qui racontent la vie de Jésus. Il ne s’agit pas de biographies historiques mais de témoignages de croyants, ce qui explique les divergences qui n’affectent pas le message essentiel, la Bonne Nouvelle de salut pour tous les hommes. Les plus vieux fragments du Nouveau Testament datent du second siècle de notre ère, les papyri Ryland et Bodmer, et les manuscrits les plus anciens qui contiennent le Nouveau Testament en entier datent du IVème siècle : il s’agit de deux codex, le Vaticanus et le Sinaïticus.
Après le retour de Babylone, passé l’enthousiasme des premiers moments, Israël a dû se reconstruire sur de nouvelles bases. L’institution royale avait disparu, le temple, certes, fut reconstruit, mais il ne suffisait plus à signifier la relation à Dieu. La diaspora devint une réalité prégnante, même en terre d’Israël, du fait de ceux qui étaient restés attachés aux traditions qui leur avaient permis de survivre.
C’est la lecture de la Parole : Torah et Prophètes, sa méditation, son interprétation qui deviennent le pilier fondamental de la vie religieuse. Sa proclamation solennelle marque le début d’une nouvelle manière d’être en Israël : le Judaïsme s’enracine là et la date souvenir de cette lecture de la Torah marque le début de l’année juive.
Le texte de Néhémie montre que nos racines plongent dans le Premier Testament, même en matière de liturgie eucharistique. Nous pouvons nous reconnaître héritiers de cette proclamation solennelle, mais nous recevons la Parole dans nos langues vernaculaires, comme l’a voulu Vatican II. Elle nous est commentée pour que nous puissions la mettre en œuvre dans notre quotidien. Si nous partageons, nous aussi, un repas, ce n’est plus celui de nos retrouvailles, mais le mémorial du Seigneur.
Quand Jésus, dans la synagogue de Nazareth, déroule le livre d’Isaïe, en fait la lecture et le commente, il se situe dans le cœur de la tradition dont le récit de Néhémie rappelle l’origine. Là où il se démarque, c’est quand il s’applique à lui-même et à son action puissante le texte lu. Sans le dire, il se présente comme celui qui vient combler l’attente d’un sauveur. Dans l’écoute de la Parole, dans le pain et le vin partagés, baptisés, nous formons un seul corps (deuxième lecture, 1 Corinthiens XII, 12-30). Certains clivages, alors fondamentaux pour la vie sociale, disparaissent : l’appartenance ou non à la judéité, la citoyenneté, s’effacent au profit de la fraternité. En elle, chacun est solidaire du tout ; il a sa place particulière au service des autres.
Globalement, cela nous semble évident, mais quand il faut laisser sa place à ceux qui ne pensent pas ou ne se conduisent pas comme nous, il est bon de relire la première lettre de saint Paul aux Corinthiens. Elle est très actuelle.
Références des textes liturgiques :
Livre de Néhémie VIII, 2-4a. 5-6. 8-10 ; Psaume XVIIIa (XIX) ;
Première Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens XII, 12-30 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc I, 1-4 ; IV, 14-21.