Homélies
3 octobre 2024
Vingt-sixième dimanche du Temps Ordinaire Année B
S 28/09/2024 église Saint-Barthélemy, le Gua
Être accueillant
Il s’agit ici du discours de Jésus à Capharnaüm qui s’achèvera quelques avec cette recommandation : « Soyez en paix les uns avec les autres. » C’est peut-être cela qui commande l’ensemble de ces paroles du Christ, à première vue quelque peu disparates.
Ils sont là tous les Douze ; Marc précise bien que c’est précisément à eux que ce discours s’adresse. La question posée par Jean – le ‘fils du tonnerre’ comme Jésus les avait surnommés, lui et son frère -, s’explique si l’on se rappelle le récit de l’institution de ce groupe des Douze, justement : « Jésus monte dans la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons. Il établit les douze : Pierre – c’est le surnom qu’il a donné à Simon -, Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques – et il leur donna le surnom de Boanerguès, c’est-à-dire fils du tonnerre -, André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée et Simon le Zélote, et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra » (Marc III, 13-19).
Ce groupe est donc bien délimité et a conscience d’avoir reçu le pouvoir de chasser les démons en raison d’un lien très fort et particulier avec Jésus. Pas étonnant qu’ils réagissent aux prétentions de ceux qui, sans faire partie de ce petit groupe d’élite, osent chasser les démons en son nom. Jean a exactement la réaction de Josué dans la première lecture, une réaction d’exclusion.
Josué était au service de Moïse depuis sa plus tendre enfance, et quand ce dernier s’était choisi un groupe de soixante-dix collaborateurs, deux d’entre eux, Eldad et Médad, manquèrent à l’appel. Josué ne put admettre que ces hommes choisis par Moïse mais qui n’avaient pas répondu à sa convocation puissent agir eux aussi sous l’impulsion de l’Esprit. Et Moïse, au contraire, s’était réjoui et avait reproché à Josué cette forme de jalousie. De même, Jésus interdit aux Douze cet esprit d’exclusive ; quand Jean lui dit : « Nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom sans faire partie de notre groupe, nous avons cherché à l’en empêcher », Jésus intervient très fermement : « Ne l’empêchez pas… »
On a très certainement là une preuve de l’extraordinaire paix intérieure qui l’habite : il ne prétend pas tout maîtriser, il constate le bien qui est fait en admettant que quelqu’un puisse faire un miracle en son nom, bien que n’appartenant pas au groupe qu’il a lui-même choisi. En quelque sorte, sa mission lui échappe, il la partage avec des gens qu’il ne connaît même pas. Et il invite du coup ses disciples à ouvrir la porte : « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous », manière de leur dire qu’il y a des gens qui sont des nôtres même s’ils ne sont pas sur vos listes ! On a peut-être là une illustration d’une autre phrase de Jésus : « On reconnaît l’arbre à ses fruits » (Matthieu VII, 20)… « Supposez qu’un arbre soit bon, son fruit sera bon ; supposez-le malade, son fruit sera malade : c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre » (Matthieu XII, 33). Et il en tire les conséquences : « Tout arbre qui ne produit pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu » (Matthieu VII, 19).
Curieusement, cette comparaison ne se trouve pas dans l’évangile de Marc, mais notre texte d’aujourd’hui dit exactement la même chose et, du coup, nous comprenons le lien entre les divers propos de Jésus qui nous apparaissaient disparates tout à l’heure. Première partie : il y a de bons fruits à l’extérieur de la communauté, c’est donc qu’il y a de bons arbres y compris à l’extérieur de la communauté : « Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense. » A l’inverse, il y a de mauvais fruits à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté (on aura remarqué la répétition du mot ‘quiconque’) : cela veut dire qu’il y a de mauvais arbres à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté et Jésus en tire la conclusion : tout comme il faut se résoudre à couper l’arbre malade, il faut résolument supprimer tout ce qui peut se révéler cause de danger pour la vie de la communauté.
« Si ta main t’entraîne au péché, coupe-la. Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le. Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le, il vaut mieux entrer manchot, estropié, borgne dans le Royaume de Dieu que d’être jeté tout entier dans la géhenne… » Pour mémoire, la géhenne était ce ravin qui entourait Jérusalem au sud et à l’ouest. On y brûlait les détritus, et il devait sa sinistre réputation au fait qu’il avait été également le lieu des enfants furent sacrifiés (au temps d’Achaz et de Manassé) : cette pratique, totalement rejetée par les prophètes, fit de la géhenne le symbole de l’horreur absolue. Les prophètes y localisaient le châtiment des impies au Jour du Jugement de Dieu.
Il est bien évident que Jésus ne conseille à personne de se mutiler, mais par ces phrases si violentes, il veut nous faire découvrir la gravité de ce qui est ici en jeu, à savoir la cohésion de la communauté. Du coup, Jésus entraîne ses disciples bien loin de ce qui, au début de ce même discours à Capharnaüm, était leur préoccupation majeure, à savoir lequel était le plus grand ! (IX, 34). Cela leur permettra de vivre en paix les uns avec les autres et de partager la même passion pour le Royaume.
Références des textes :
Livre des Nombres XI, 25-29 ;
Psaume XVIII (XIX), 8, 10, 12-13, 14 ;
Lettre de saint Jacques V, 1-6 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc IX, 38-43.45.47-48
19 septembre 2024
Vingt-quatrième dimanche du Temps Ordinaire Année B
S 14/09/2024 église Sainte-Marie, le Genevrey-de-Vif et D 15/09/2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif
« Si quelqu’un veut marcher derrière moi… »
Quelques mots, pour commencer, sur la lettre de saint Jacques dont un extrait est de nouveau proposé en deuxième lecture ce dimanche. Quelles sont les particularités de cette lettre ? A qui écrit-il ?
A Part la salutation initiale, la lettre de Jacques ne présente aucune des caractéristiques d’une véritable épître. Composée d’exhortations plus juxtaposées que liées, elle apparaît être une lettre didactique pour une large audience. Son auteur qui utilise un vocabulaire riche, qui use de tournures littéraires recherchées et qui connaît les procédés de l’enseignement du temps, est de culture hellénistique. Certes, la lettre est attribuée traditionnellement à Jacques, le frère du Seigneur, le chef de la communauté de Jérusalem, mais il est malaisé d’identifier avec précision son auteur. Il pourrait être un écrivain qui, conformément aux habitudes littéraires de l’époque, voulait placer son écrit sous un patronage fameux. Cet auteur s’adresse aux « douze tribus d’Israël qui sont dispersées dans le monde », c’est-à-dire, au peuple chrétien, représentant le nouveau peuple élu. Il l’exhorte à accorder sa conduite à sa foi religieuse.
Après Paul, d’une certaine manière, et dans la tradition qui est la sienne, l’auteur lui rappelle que la foi est compréhension nouvelle de l’existence. Il dénonce que des chrétiens disent avoir la foi sans ressentir le besoin de la vivre concrètement. Il ne se lance pas, comme Paul, dans des développements théologiques, mais il fait appel à des exemples choisis dans la vie des communautés chrétiennes. Ainsi pour l’auteur, à quoi bon dire ‘bon appétit’ ou ‘mets-toi au chaud’ à un frère sans se préoccuper de savoir s’il a de quoi manger, ou se chauffer ? S’il en est ainsi pour certains, leur foi que n’accompagne aucun secours ne ressemble qu’à des vœux pieux. Pour l’auteur, la foi est existence véritablement animée et habitée d’actes concrets qui en témoignent, et non simple adhésion à un credo.
Dans l’évangile, l’apôtre Pierre apprend brutalement qu’il n’y a qu’une seule vocation à la sainteté : celle qui consiste à s’unir au mystère de la croix du Christ Jésus. Nous le savons, le concile Vatican II a affirmé que tous les baptisés avaient reçu une vocation à la sainteté. Cette sainteté est unique parce qu’elle consiste dans la communion retrouvée avec la sainteté de Dieu par le mystère de la croix. L’évangile de ce jour n’est donc pas une invitation à la souffrance mais bien plutôt une invitation à vivre notre vie comme un don de sa vie au Christ.
Notre vocation à la sainteté nous fait passer par les mêmes étapes que saint Pierre : profession de foi, expérience du péché et appel du Christ à la conversion. « Tu es le Messie » est le fondement de notre foi, c’est-à-dire reconnaître Jésus comme le Fils de Dieu envoyé par le Père pour nous réconcilier avec lui. Nous proclamons cette foi dans l’Eglise et notamment dans le renouvellement des promesses du baptême au cours de la veillée pascale. La réaction très humaine de Pierre démontre que son attachement au Seigneur a besoin d’être purifié. Son péché, comme le nôtre, est une résistance au plan de Dieu et un désir égoïste de nous approprier les dons reçus du Père.
Les paroles prononcées par Jésus - « passe derrière moi, Satan ! » - résonnent durement à nos oreilles. Il s’agit pourtant pour l’apôtre de reprendre sa place à la suite de Jésus, de retourner derrière le Seigneur pour mettre ses pas dans les siens. Reprendre sa place de disciple, voilà en quoi consiste une vraie conversion.
Considérer la sainteté comme la communion avec la sainteté de Dieu, c’est au fond être appelé à vivre toutes les dimensions de notre vie avec le Christ Seigneur qui ramène tout à son Père : « Tout vous appartient mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ». Finalement, la profession de foi qui nous fait reconnaître Jésus comme le Messie ne suffit pas. Elle doit se traduire par un engagement personnel intégral qui nous conduit à vivre notre vie comme le Christ : dans une communion filiale avec le Père, cherchant à accomplir sa volonté et offrant notre vie et notre mort en sacrifice d’action de grâce. Comme le Christ signifie en réalité par le Christ, avec le Christ et dans le Christ.
Références des textes :
Livre du livre du prophète Isaïe L, 5-9a ;
Psaume CXIV (CXVI A), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9 ;
Lettre de saint Jacques II, 14-18 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc VIII, 27-35